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Nr. 00265- 9th Jan. 2024 – Weekly Newspaper devoted to Science & Technology in Africa ** Pour la promotion de l'esprit scientifique en Afrique

Une Église Africaine posée sur les religions africaines est-elle concevable? Peut-on être Chrétien et partisan du Vaudou? Entretien avec le Rév. Pasteur Eloi AGBANOU

Croix à Problèmes? Serait-on tenté de se demander. Car, en Afrique au sud du Sahara, il ne se passe de jour sans que le rôle des églises missionnaires ne soit remis en question. Certains hommes des sciences originaires d’Afrique vont jusqu’à prôner la rupture totale et le retour aux religions traditionnelles africaines. Pour les partisans de la rupture, le rôle joué par les églises missionnaires (chrétiennes notamment) serait à l’origine de la débâcle actuelle de notre continent. Les églises missionnaires chrétiennes ne seraient en quelques sortes qu’un simple instrument de l’impérialisme occidental en Afrique.

Bien évidemment, ce point de vue n’est pas partagé par tous les intellectuels africains. En vue de mieux comprendre le problème dans sa profondeur, et par souci de contribution au débat sur la place des croyances dans le monde d’aujourd’hui, nous sommes allés à la rencontre de nombreux spécialistes. Un d’entre eux, le Révérend Pasteur Éloi AGBANOU, théologien et sociologue, nous entretient cette semaine sur ce que l’on peut à raison considérer comme l’un des plus grands dilemmes de l’Homme africain de l’ère postindépendance : s’ouvrir aux religions importées ou alors s’attacher à nos croyances ancestrales?

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Africa & Science: La religion, tout comme la langue, est un élément fondamental de la culture d’un peuple. La littérature coloniale avait présenté les sociétés africaines comme étant vides de toute religion, d’où la nécessité de l’évangélisation (par la bible). Même si nous savons aujourd’hui que cette vision fut une erreur, il demeure que le grand essor de l’église missionnaire occidentale en Afrique a lieu dans un espace vide de toute église africaine. Comment interprétez-vous ce vacuum? Comment expliquez-vous qu’il n’existe au moment de la rencontre coloniale aucune église africaine constituée?

Rév. Pasteur Agbanou: Parler d’église en Afrique avant la pénétration des missions européennes serait inappropriée; mais parler de croyances en Afrique avant  les sociétés de mission reste dans une logique démontrable et raisonnable  car L’Afrique n’était pas un désert  d’athéisme, mais bien plus un réservoir de croyances variées formellement  avec une éthique religieuse similaire. Les formes d’adoration et de pratiques religieuses  restent propres à chaque société africaine selon son espace géophysique et selon  les normes institutionnelles  qui régissent la vie au sein  de chaque groupe social. En Afrique, les faits sociaux émanent des institutions religieuses  traditionnelles à une échelle microsocialecar chaque groupe social est régi par des comportements et mœurs  dérivés de leur croyance ou de leur religion. Alors, croyance et culture sont étroitement liées.  La culture comme l’élément vecteur de socialisation devient la praxis religieuse de chaque groupe social. Mais malgré la multiplicité des croyances africaines, elles s’apparentent  sur plan éthique et se retrouvent au même diapason dévotionnel  entre elles  et vis-à-vis des religions du livre en provenance du monde occidental. Tous s’accordent sur : La protection et la préservation de la vie,  la pratique illimitée du bien, l’encouragement de la promotion de la Paix, la pratique de la charité, la promotion du développement économique et social et la pratique de la justice et de l’équité.  Les croyances africaines ne se pratiquent pas dans des églises comme le christianisme catholique ou celui des églises issues de la Réforme du 16ème siècle. Elles se pratiquent dans la société, dans la vie de tous les jours. Elles se vivent et se transfèrent dans les interactions  relationnelles  entre les membres du groupe. Les croyances africaines régulent les faits sociaux. Nos sociétés africaines avant l’avènement des missions européennes étaient des sociétés de croyances sur le plan culturel et des sociétés de la croyance au niveau des vertus théologales et  cardinales universelles (citées plus haut) de toutes religions révélées et non révélées.

Africa & Science: Pour de nombreux Africains, le christianisme missionnaire fait désormais partie de l’infrastructure institutionnelle de l’impérialisme. C’est un des instruments que l’Occident utilise pour asservir les Africains. Partagez-vous ce point de vue? Pourquoi?

Rév. Pasteur Agbanou: Non et oui!

Non  au premier chef! car les missionnaires  n’avaient pas pour objectif premier de venir dominer ou de venir déshumaniser. Ils avaient pour objectif l’accomplissement de la mission commandée par Jésus-Christ, celle inscrite dans Matthieu 28/ 16-20 ‘’ Allez!  faites de toutes le nations mes disciples, les baptisant au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit…’’ L’ordre donné par Jésus n’avait fait qu’un détour  en passant d’abord par l’Europe avant d’arriver en Afrique à cause d’un fait naturel lié à l’environnement social de ce temps. Il y avait plus d’affluence humaine au Nord de la méditerranée et Jésus a envoyé les disciples vers les brebis perdues d’Israël (les juifs de la diaspora) et seul Paul a été envoyé vers les Païens. Le nord de la méditerranée était favorables à la mission pour deux raisons : L’Europe et l’Asie mineure abritaient beaucoup de juifs de la diaspora et le trafic commercial était très développé dans ces zones. La deuxième raison est liée à la barrière repoussante qu’était le désert du Sahara qui n’était du tout pas favorable à une exploration missionnaire des disciples sur une longue surface. Les premières communautés établies par les apôtres se sont limitées en Égypte et dans la contrée de l’ancienne Nubie. Alors, au lieu que les disciples évoluent vers le sud, ils ont plutôt choisi de progresser vers le Nord à cause de la position géographique du désert du Sahara très aride. La mission Chrétienne, transitée par l’Europe n’était pas un outil de domination ni d’abrutissement de nos peuples. C’est bel et bien l’ordre missionnaire du Christ qui s’appliquait en toute dignité.

Oui, la mission est devenue outil de domination et de manipulation des intérêts  coloniaux quand certains missionnaires étaient utilisés comme des agents  complices des  commis de L’administration coloniale. Leurs messages  et diverses interventions étaient orientés  dans le but d’asseoir l’hégémonie coloniale, mais certains missionnaires ne partageaient pas cette vision de domination et de déshumanisation des indigènes. Au contraire, ils les protégeaient et défendaient leur dignité au Nom de l’Évangile. La mission est restée pure dans  sa praxéologie, mais le péché de l’homme l’a corrompue pour des fins égoïstes  et purement matérielles (politique, économique, intérêts individuels..etc).

Le Christianisme  ne peut pas être un outil aux mains de l’impérialisme international. Il était et continue d’être à l’opposé de toute forme d’exploitation et de domination. Toute la bible condamne à plusieurs niveaux les exploiteurs des peuples : le pentateuque, les écrits prophétiques et les récits, les Évangiles, les épitres et l’apocalypse. De la Genèse à l’apocalypse, l’impérialisme est considéré comme le fils aîné du Péché.

Je crois que l’Afrique peut connaitre un développement prospère et rationnel à travers  un Christianisme sans fétiche (pour citer le  théologien et philosophe Camerounais, Fabien Eboussi Boulaga auteur de l’ouvrage : le christianisme sans Fétiche). Si les politiques ont échoué ou chancelé dans leur plan de développement pour l’Afrique,  le christianisme peut œuvrer à une reconstruction autre  d’une culture développementiste.  Il s’agit de redonner un nouvel essor de développement à l’Afrique pas en suivant le modèle européen ou américain ou chinois mais en mettant en place les jalons d’un christianisme sans fétiche.

Africa & Science: Le fait que le christianisme en tant que mouvement religieux soit traversé ou perverti par des intérêts ou forces politiques de tout genre enlève-t-il la possibilité pour un Bamiléké, un Bassa ou un Baoulé d’être libéré par le Sang du Christ? En d’autres termes, le christianisme ne peut-il pas aider l’Homme Africain à assurer la plénitude de son existence en tant que Humain?

Rév. Pasteur AgbanouJe voudrais d’abord  soustraire à votre question l’aspect mythique et mystique de la pratique religieuse chrétienne évoquée à travers le sang  du Christ qui est un symbole fort chargé de sacralité et  qui parfois , alimente des discours charlatanistes et propagandistes   affichant un Christianisme talismanique et prestidigitateur pour les peuples démunis. Le sang du Christ doit être vu comme un appel au sacrifice de soi  en résistant aux diverses formes de perversités dont se nourrit le monde moderne et en donnant une confiance totale au Maître de la Vie : Jésus-Christ que nous invoquons à chaque seconde en tant que croyant. Ici (le Sang du Christ),  nous sommes dans l’âme de la religion chrétienne et non dans une forme de religiosité sans scrupule.  Nous sommes dans la sphère du Sacré, du signifié et du signifiant de la croyance Chrétienne. Pour parvenir à son appropriation, il faut  des préalables capables de promouvoir un développement humain et social.

Je réponds donc à votre préoccupation en disant que  notre plénitude existentielle s’accomplit pleinement quand nous pouvons être des artisans de Paix, de justice  et d’équité, de Vérité et  d’amour du prochain.  Si ces vertus théologales et cardinales  sont scrupuleusement observées en Afrique nous connaitrons un bien être humain et social sans pareil. Et ces vertus font partie intégrante des préalables valorisant l’effet  bienfaisant de l’eucharistie  symbolisant le corps et le sang du  Christ. Mais hélas! Nos gouvernants qui sont sensés promouvoir la pratique réelle de ces vertus sont souvent les premiers à s’asseoir au premier banc dans nos Églises et sont souvent les premiers servis lors de la célébration eucharistique au moment des visites papales en Afrique. Cette eucharistie consommée dans un état d’âme enclin aux mensonges, aux manœuvres politiques de tout bord, à l’injustice sociale machinée par l’administration, à la mauvaise répartition des ressources  nationales , à la paupérisation croissante de la basse classe sociale, endurcit leur cœur cupide et les rend plus nocifs au développement de la nation. Alors, c’est un danger d’aller à la table sainte quand on n’a pas un cœur repentant.  Notre misère en Afrique provient du péché orchestré et machiné du haut de l’échelle politique de nos nations. Nos gouvernants n’ont ni la culture et la pratique de la pénitence ni de la repentance ni du pardon. La bible nous montre que le peuple d’Israël  est devenu fort  et prospère quand les Rois , les scribes , les rabbins , les prophètes et tout le peuple se sont repentis de leur péché  dans une profonde et sincère pénitence. L’Afrique peut aussi passer par cette voie.

Africa & Science: Quelle place accordez-vous au Vodou ou au Culte des Ancêtres cher les Bamiléké du Cameroun? Pratiques religieuses acceptables ou manifestations du malin?

Rév. Pasteur Agbanou: Je pourrai à une autre occasion vous faire une étude sémantique et analytique du Vaudou car  mon pays d’origine est un siège international de la Pratique Vaudou. Je pourrais pour l’instant dire que Le vaudou n’est rien d’autre que notre façon de penser et de représenter  le divin ou l’invisible ou l’insaisissable. Chacun a son vaudou, le mien, c’est Jésus-Christ. Pour certains, c’est un arbre sacré ou un cours d’eau, pour d’autres c’est une montagne ou une forêt.Ce qui a fait du vaudou une croyance ancestrale redoutable, c’est la corruption des vaudounons (chefs  et prêtres vaudou)  pourtant elle était comme une institution socio-économique et culturelle  du peuple pratiquant.

Alors, les lois vaudou qui prônent la justice et l’amour, qui prônent l’équité et le bien-être du Peuple ne sont pas en  contradiction avec les préceptes chrétiens. Mais cela ne veut pas dire que le chrétien peut être simultanément  pratiquant du vaudou et demeuré fidèle dans son Église. Même si à certains endroits il y a des ressemblances, il y a aussi des divergences. C’est nettement mieux de choisir  sa croyance religieuse sans tricherie pour éviter d’être soi-même source de conflits  entre deux institutions religieuses. Choisir sans juger les autres même si les autres nous jugent. Même au sein du Christianisme, il est difficile d’être en même temps Catholique pratiquant et protestant pratiquant.  On finit toujours par choisir un groupe.

Africa & Science: Vous êtes un serviteur de Jésus Christ né sur le sol africain. Vous connaissez l’Afrique sans ses coutumes ou traditions. Selon vous, une église africaine reposant sur les religions africaines ou tout simplement sur la foi telle que vécue en Afrique, est-elle concevable? Si oui, quel serait le crédo? Qui serait son « supérieur », et où serait idéalement son « Vatican »? En d’autres termes, sur quels ciments institutionnels reposerait une éventuelle église africaine?

Rév. Pasteur Agbanou: Avoir une Église Africaine  de religion traditionnelle est impossible: Comme je l’ai dit plus haut, les religions traditionnelles africaines que je peux appeler ici les religions endogènes sont des  micro-croyances rattachées soit à un clan ou à une tribu ou à un village ou à une région et encrée dans les pratiques culturelles de chaque entité sociale.

Une première raison  nous certifie que : avoir une Église pour toutes ces croyances ressemblera  à un Panthéon  complexe  Romain du  premier  et deuxième siècle avant Jésus-Christ. Un tel édifice panthéiste sera  un véritable foyer de conflits  et générateur de l’aggravation de  notre sous- développement. Il sera impossible de construire un  siège  et de mettre sur pieds  une gouvernance institutionnelle.

La deuxième raison se justifie dans le fait que Nos croyances africaines ne sont pas des ’’religions du Livre’. Elles sont pour la plupart des religions de l’oralité. Quel sera le repère de la base  linguistique et littéraire de son livre saint? Quels seront les bases des critères d’universalité des pratiques?  Penser de cette façon, c’est vouloir faire de la culture de chaque peuple une religion en miniature. Trop de religions tuent la Religion.

Le Christianisme a conquis la vedette de la Religion des religions à travers son histoire, sa Révélation,  sa culture car elle a puisé dans les croyances asiatiques, océaniques et africaines,  dans le judaïsme, dans les pensées et philosophies  occidentales (Grèce antique). Elle est la religion de tous les peuples et son fondateur Jésus-Christ est né  lors du recensement de tous les peuples de la Terre, ce qui fait de Jésus un citoyen universel  ressortissant de tous les Peuples de la Terre. Dieu avait donc un plan pour toute l’humanité. L’universalité du christianisme ne nuit pas aux autres croyances. Au contraire, elle fait leur synthèse dans le positif et pour le bien être  des Peuples de la Terre à qui l’amour Salvateur du Dieu Créateur, Père de notre Seigneur Jésus-Christ est offert quotidiennement.

Croire en Christ nous amène à   nous édifier, à  nous  développer et rester en connexion constante avec  le ciel notre  vraie Patrie. Pourquoi ne pas croire en ce Jésus-Christ  Dieu incarné dans un corps humain, l’Emmanuel  au sein de  l’humanité ? Je vous remercie très chaleureusement pour avoir sollicité ma modeste personne. Que Dieu vous Bénisse et vous accorde sa Paix et sa sécurité. Que notre Seigneur Jésus-Christ surabonde sa Grace  et  son Amour au centre de vos Vies.

Vous êtes les Bénis du Royaume de Dieu.

Africa & Science: C’est nous qui vous remercions pour votre disponibilité et surtout pour ces précieuses informations.

Propos recueillis par:
Moses Chiadjeu
Africa & Science

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Pour tout renseignement complémentaire, vous pouvez entrer en contact avec le Réverend Pasteur Eloi AGBANOU à l’adresse suivante:
Communauté Presbytérienne Siloé de Montreal
6101 chemin de la côte saint Luc- app 301
Montréal/ QC
Code Postal H3X 2G4
Tel: (1) 514 564 9247

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One thought on “Une Église Africaine posée sur les religions africaines est-elle concevable? Peut-on être Chrétien et partisan du Vaudou? Entretien avec le Rév. Pasteur Eloi AGBANOU

  • l'africain dit :

    la plus ancienne nation du monde est l’Armenie puis vient ensuite l »Ethiopie en 330 AC bien avant l’Empire romain en 390 AC.
    la religion chretienne etait deja pratiquee, en afrique 1000 ans avant que les premiers explorateurs missionnaires europeens ne pose leur pied en afrique ( pour rappel l’exporation de l’afrique debute reelement au Xv siecle AC), sous differentes formes que bien entendu les europeens bien veillant ont renome mystique ou sorcelerie.quel charme.
    dommage que nos frere ne s’avance sur des sujets qu’il ne maitrise pas et en vienne a denigre les rites et cultes africains etroitement lies au christianisme.
    Vaudou incompatible avec le christianisme…encore une betise du meme rang que celle visant a nous faire croire que nous sommes reste passif face a l’expensionisme colonial et meurtrier des europeens.
    Ils nous ont apporte la parole…quelle betise.et venant de vous des freres en plus