Cameroun: l’incongruité de l’Idée d’un « Complot Bamiléké »
La campagne électorale d’octobre 2018 qui a conduit au renouvellement du mandat du chef de l’État sortant a été l’occasion, une fois encore sur la scène politique africaine, de voir à l’œuvre une ingénierie sociale visant à la formation des blocs politiques autour de l’identité ethnique. Cette entreprise suffisamment documentée par la littérature scientifique en sciences sociales est généralement cataloguée sous la rubrique de la manipulation de l’ethnicité. Fait tout à fait singulier, ces manœuvres débouchent sur la manufacture des consciences ethniques, parfois sans ethnicité. Dans ces œuvres d’entrepreneurs politiques en quête de supports électoraux, il n’a y pas de limite à la créativité: des circonscriptions électorales savamment découpées, des sièges au parlement attribués en dehors de toute cohérence, des investitures de candidats en fonction des appartenances ethniques, etc. L’on note un glissement des principes élémentaires de la gouvernance moderne, et une irruption brutale de l’ethnie sur la scène politique. Dans le contexte camerounais, les architectes au service du régime brillent de tout feu en vue de mettre fin à une vague de protestation tout azimut contre le régime en place depuis 36 ans. Une de leurs dernières trouvailles aurait été d’attribuer la responsabilité des révoltes populaires actuellement observables au Cameroun et dans la diaspora à une bande de complotistes Bamiléké tapis dans l’ombre. Depuis lors, la rhétorique du gouvernement est constate : il existe un complot Bamiléké visant à déstabiliser les institutions et à faire tomber le régime. Toutefois, force est de constater que cette rhétorique nous parait scientifiquement très difficilement défendable pour au moins deux raisons :
La fabrique d’une conscience ethnique, mais sans ethnicité
L’une des grandes difficultés des manufacturiers du « complot Bamileké » est à n’en point douter l’absence d’homogénéité identitaire (plus précisément ethnique) des personnes ayant un ancêtre Bamiléké. Ces manufacturiers auraient bien souhaité que toute personne ayant un (ou plusieurs) ancêtre (s) Bamiléké soient anthropologiquement identifiée comme appartement à l’ethnie Bamiléké. Malheureusement, tel n’est pas le cas. Bien souvent, l’unique lien d’attachement à ce groupe ethnique est la trace héréditaire (au sens biologique du terme) qui lie ces citoyens camerounais à qui on attribue des velléités complotistes à un ancêtre des grassfield de l’ouest-camerounais. Dans bien des cas, lesdits citoyens situeraient très difficilement une seule contrée des hauts-plateaux de l’ouest-Cameroun sur une carte, ce d’autant qu’ils n’y ont aucun attachement. Mieux, ces personnes sont parfois des autochtones de Douala, de Yokadouma, de Garoua ou de Yaoundé qui s’expriment couramment dans la langue locale de leur cité de naissance, en toute ignorance de la langue de leur tribu d’attribution. Même si les manufacturiers du « complot Bamiléké» finissent par leur faire avaler la dure pilule de l’attachement à un groupe ethnique qui leur est inconnue, toujours est-il que nous sommes plus véritablement en présence d’une situation de conscience ethnique sans ethnicité. Bon nombre de citoyens Camerounais à qui l’ingénierie politique attribue désormais l’identité Bamiléké ne sont rien d’autres que des enfants Sawa, Beti ou Bassa nés de parents Bamiléké immigrés à Douala, Édéa ou Yaoundé. S’exprimant couramment dans la langue de leur terre de naissance, ces citoyens n’ont généralement aucun attachement avec la culture
Une absence de lien organique
Il y a lieu de se poser la question de la représentation de l’autre dans l’imaginaire de ceux qui croient aux discours des manufacturiers du « complot bamiléké ». Logiquement, la grossière de cette entreprise aurait été identifiée sans grand effort. Malheureusement, tel n’est pas encore le cas. Ce que les acteurs de haine font généralement de mieux, c’est d’entretenir une unité organique chez les Bamiléké, unité qui n’existe en réalité que dans les phantasmes. Si le Hébreu, la synagogue et le mur des lamentations sont des institutions qui parlent directement au subconscient des descendants de la terre d’Israël, c’est plutôt la Sainte Bible, la croix de Jésus Christ ou le Saint Coran que défendent aujourd’hui les Bamiléké, militants infatigables du Christ et des églises de réveil pour les uns, disciples du Saint Prophète de la terre d’Arabie pour les autres. Les cranes de nos ancêtres ne sont plus que des vestiges relégués aux oubliettes. Même la Famille, la grande Famille Bamiléké, vacille. Hier, forteresse et lieu de refuge pour l’Humain Bamiléké en détresse, aujourd’hui, institution en voie dépérissement, fragilisée dans ses racines les plus profondes par les vagues hautes du capitalisme et de l’argent roi. Le rituel de la dot, pierre angulaire de l’union des familles et dont de la procréation, est devenue une affaire de business. Désormais, on vend la mère fondatrice de la famille sur le marché (des cœurs) comme s’il s’agissait d’une poule destinées à pondre des œufs. Sur ce marché (des cœurs) justement, le pouvoir d’achat revêt toute son importance. Même si les discours renvoient aux mythes fondateurs, place est au réalisme. Selon toute vraisemblance, même si le mariage revêt tout son sens chez les jeunes qui décident de lier leur destin pour le meilleur et pour le pire, l’orchestre musical qui se joue autour des époux est un conglomérat d’artistes attachés au lucre. Pour la plupart des festoyeurs, seul le pouvoir d’achat du gendre compte. Même si le discours est mielleux, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un bal d’hypocrites. Le mariage a perdu sa valeur symbolique.
Pire encore, du respect et de la protection de l’âme de leurs ancêtres, les Bamiléké d’aujourd’hui n’en font plus une priorité. Si les crimes perpétrés contre les descendants d’Israël pendant la Grande Guerre représentent un moment particulier dans le récit de vie de tout Juif vivant, aujourd’hui, les affres de Monsieur Lamberton dans les montagnes et hauts plateaux de l’ouest-Cameroun sont totalement absence dans la conscience collective des Bamiléké. En clair, il n’y aucun lieu de mémoire, aucune institution symbolique qui puisse servir de fondement ou de lieu commun pour tous les descendants Bamiléké. Et, rien n’indique que dans un avenir assez proche sera lancé le grand chantier de restitution de la mémoire de ce peuple.
C’est donc à une communauté humaine ainsi constituée que certains entrepreneurs politiques camerounais prêtent des velléités de complot. Certes, certains descendants Bamiléké nourrissent de grandes ambitions politiques, ce qui est de leur droit. Mais, de là à conclure qu’ils sont porteurs du mandat d’un peuple ethniquement constitué relève du grand écart. Dans le contexte actuel, forcer la logique, tenter le grand écart, c’est trop risqué. L’idée d’un « complot Bamiléké » est intellectuellement indéfendable et témoigne à n’en point douter de l’état de désespoir des commerçants du sang. Autant nous pleurons encore jusqu’à ce jour le sang coulé en lieu inconnu du Taakaap Boouka Simen, sang coulé pendant la période coloniale pour la prospérité de la mère-patrie (en quête de gloire transatlantique), autant nous redoutons le jeu malsain des amateurs de la manipulation des machettes, des allumettes et des briquets à gaz. L’idée de l’existence d’un « complot Bamiléké » est tout simplement loufoque, n’en déplaise aux acteurs politiques en perte de vitesse.
Moïse CHI.
Photo: Chute d’Ékom- Nkam à l’ouest-Cameroun. Source: www.google.com
Théorie du complot comme instrument politique: Une analyse du « Projet Bamiléké » « Invisible Black Narratives » : Past, Present and Futur
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