Théorie du complot comme instrument politique: Une analyse du « Projet Bamiléké »
« Le mélange de vrai et de faux est énormément plus toxique que le faux pur »[1]
Résumé
Face aux phénomènes (ou problèmes) complexes et diffus, certaines personnes optent généralement pour des explications et des solutions simplistes. Conscients de cette réalité, certains intellectuels, hommes politiques et faiseurs d’opinion n’hésitent pas à surfer sur cette faiblesse pour distraire le public et atteindre des objectifs inavoués. Le contexte camerounais actuel offre un cas d’étude par excellence, notamment avec la résurgence du « projet Bamiléké », une construction qui s’inscrit dans la logique politique du « diviser pour mieux régner » qui est d’origine coloniale. Dans le contexte postcolonial, cette stratégie qui date de l’époque coloniale est constamment reprise et actualisée en fonction des circonstances, parfois même par des anti-impérialistes et des panafricanistes. À l’analyse du « projet Bamiléké », l’on constate qu’il s’agit purement et simplement d’une théorie du complot.
Introduction
Grâce ou à cause des nouvelles technologies de communication et de l’information, les théories du complot semblent prendre de l’ampleur aujourd’hui partout dans le monde. Stigmatisées pendant plusieurs décennies, elles redeviennent convenables ; en tout cas dans certains segments d’un public devenu fragmenté. Alors que les unes sont banales, anodines et font parfois sourire, d’autres sont par contre dangereuses et peuvent menacer la paix sociale. C’est le cas par exemple de la théorie du complot Bamiléké. Cette théorie, qui présume qu’il y aurait un projet secret orchestré par les Bamiléké pour prendre le pouvoir et mettre le reste des camerounais sous leur joug, n’est pas nouvelle et ne connaît pas une évolution rectiligne. « Diviser pour mieux régner » est une stratégie coloniale dont la théorie du complot Bamiléké est une résultante directe. Dans la présente contribution, nous voulons montrer, comme le titre le présage déjà, que le complot Bamiléké relève d’une simple théorie du complot. Nous argumentons partant des acquis en sciences sociales qu’il est quasiment impossible qu’un tel plan ait du succès, même s’il en existait un. Pour le faire, nous aborderons d’une part la notion de « théorie du complot » à travers la présentation de ses caractéristiques, un court rappel historique, sa typologie et les raisons qui amènent les uns ou les autres à y adhérer ou les propager. D’autre part et partant de cette présentation, nous analyserons la théorisation et propagation du complot Bamiléké principalement en prenant comme exemples les discours et événements qui l’entourent.
Théories du complot: Approche de définition
Les théories du complot prétendent qu’un groupe de personnes ou d’institutions (les conspirateurs) puissantes opérant secrètement chercheraient pour des raisons malsaines à contrôler ou détruire une institution, un pays ou le monde. Pour éviter d’utiliser l’expression « théories du complot » à tors et à travers ou encore pour ne pas jeter le discrédit sur ses adversaires, il est nécessaire de préciser les critères ou caractéristiques qui déterminent les dites théories. Les quatre principales caractéristiques se retrouvent dans la définition donnée ci-dessus : rien n’arrive par accident, rien n’est tel qu’il paraît être, tout est lié, tout est intentionnel, secret et le but poursuivi est vicieux (Taguieff 2013).
Jusqu’ici nous avons utilisé l’expression théories du complot comme si elle n’était pas sujette à discussion. Évidement cela n’est pas le cas comme d’habitude en sciences sociales. Le terme « théorie » est très souvent remis en cause. Lorsqu’on tente de confronter des conspirationnistes avec des arguments objectifs, on est d’un côté accusé de faire parti du complot et dans ce cas, ils reprochent à leurs critiques le fait de détourner l’attention des personnes qui cherchent et disent la vérité. Parfois même toute d’argumentation est interprétée par les fidèles des théories du complot comme tentative de camouflage, ce qui confirme selon eux leurs théories. Ce phénomène est appelé en psychologie « hyperphagie assimilatrice »[2]. De l’autre côté, on est traité de naïf et de ne rien comprendre des vrais enjeux. Ainsi les théories du complot ont tendance à se soustraire à la réfutation. D’où la confusion que le terme « théorie » peut susciter puisqu’il n’a en réalité rien de scientifique. Piere-André Taguieff (2013) par exemple propose selon leur degré d’élaboration les expressions « rumeur de complot, peur d’un complot, hypothèse du complot, imaginaire du complot, idéologie du complot, mythe ou mythologie du complot ». Le problème avec le terme idéologie est qu’aujourd’hui, en science sociale, il est établi qu’il n’existe pas de connaissances exemptes de toute idéologie. Par ailleurs, bien que les théories du complot soient peu crédibles car non vérifiables, théoriquement cependant, elles offrent des explications alternatives aux phénomènes sociaux et projettent le futur, ce qui est une fonction classique des théories
[1] http://www.linternaute.com/citation/13320/le-melange-de-vrai-et-de-faux-est-enormement-plus–paul-valery/
[2] Il s’agit d’une méthode qui consiste à intégrer les faits ou éléments utilisés pour invalider une théorie du complot pour justement justifier celle-ci. Les adeptes de la théorie du complot parlent dans ce cas de tentative de camouflage ou de détournement de l’attention. Par exemple, la publication de l’acte de naissance de l’ancien président américain Barack Obama pour prouver qu’il est naît aux États Unis, n’a pas convaincu les conspirationnistes. Au contraire, cette publication a été considérée comme confirmation de la thèse du complot.
L’article complet est disponible au lien suivant: TANGANG-MELI-LOUMGAM-Théories du complot et Projet Bamilékés 25.06.2019
Photo: Les hauts plateaux de l’ouest Cameroun. Source: www.google.com
« Smart Register »: une application conçue pour aider les enseignants dans l’accomplissement de leur métier. . Cameroun: l’incongruité de l’Idée d’un « Complot Bamiléké »
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