Afrique: Sur le rôle de la diaspora dans le changement du paradigme victime-acteur
Dans une précédente contribution (https://africa-and-science.com/?p=7413), nous nous sommes penchés sur la qualité du peuple en tant qu’acteur et non victime face aux grands défis de notre temps. Au regard du rôle important que joue l’émigration dans notre société, il est opportun de questionner la place de la diaspora dans ce décor.
Trois points de positionnement peuvent être évoqués. Premièrement, les demande de reddition de comptes et l’exigence de la transparence de la part des acteurs de Diaspora doivent s’harmoniser avec celles de la population sur place à moins qu’il ne s’agisse des thématiques étroitement liés à la diaspora. Les acteurs de la diaspora dans ce sens devrait se garder de formuler des exigences non adéquates au contexte local. Ils se laissent très souvent, hélas, aller à des comparaisons simplistes, ce qui les conduit à analyser les faits sociaux toujours sous le prisme de leur société d’accueil sans procéder aux différentiations et contextualisations que de tels faits exigeraient. Ce faisant, les acteurs de la diaspora risquent de verser dans l’amalgame et la condescendance. Les membres de la diaspora devraient plutôt faire preuve de tact et trouver des mécanismes pour intégrer leurs actions dans le cadre des processus locaux.
Deuxièmement, le pan de la diaspora que nous avons catégorisé comme étant des « attentistes » (Tangang Meli Loumgam 2010) devrait s’activer. Les « attentistes » sont ceux-là qui pensent qu’il n’est pas possible de faire quoique ce soit de sérieux dans le contexte socio-politique actuel et conditionnent leur engagement au changement préalable de donne. Ils ne veulent pas faire partie de ce changement. Les « attentiste » sont des acteurs passifs et se considèrent même parfois comme des victimes d’un système politique qui verrouille tout. Notre plaidoyer ici consiste à leur faire comprendre que quelque soit la situation, nous avons toujours des marges de manœuvre, des possibilités d’engagement fussent-elles limitées. Leur découragement résulte parfois du piège de la comparaison évoqué dans notre précédent article (https://africa-and-science.com/?p=7413). Les «attentistes» souhaitent un environnement d’engagement semblable à celui de leur pays d’accueil. Et c’est une erreur.
Troisièmement enfin, au-delà du contenu de leur engagement, qui devrait (comme nous l’avons suggéré) être arrimé à celui des locaux, les acteurs de la diaspora disposent des moyens financiers et techniques considérables. Ici également, les acteurs de la diaspora doivent faire preuve de sensibilité et éviter de dicter les règles du jeu. Le développement à partir des référentiels endogènes doit servir de boussole. Les camerounais de la diaspora sont donc aussi des acteurs importants pour la construction de notre nation.
Une autre dimension relative au piège de la comparaison qui plane sur la diaspora concerne le jugement ou l’appréciation des manquements au pays. À l’opposé de ceux qui ont tendance à tout peindre en noir ou tout critiquer, on a à l’autre extrémité ceux que l’on pourrait appeler les adeptes d’un certain relativisme inflationnaire. Il s’agit de ceux-là qui réagissent à toute critique du régime politique ou de certaines dérives de la société par le renvoi aux exemples dans les pays occidentaux. Sur le plan rhétorique, c’est sans doute une technique déroutante qui met à mal l’interlocuteur. Ces comparaisons, sans être des arguments à proprement parlé, ont l’effet d’un argument-massue. Au-delà du fait que ces exemples pris en occident soient parfois inappropriés, cette manière d’argumenter tue toute forme de discussion progressiste. Une question s’impose : Faisons-nous un concours de la médiocrité ? Un débat sérieux sur les maux qui minent notre société devrait consister à s’entendre dans le cadre du débat national des normes légales et des valeurs qui doivent régir la gestion des affaires publiques et le vivre ensemble. Dans l’arène du débat, les acteurs de la diaspora peuvent jeter d’autres perspectives qui cependant doivent être en accord avec les aspirations, les intérêts ou même les craintes de la majorité de la population locale. Autrement-dit, le input de la diaspora ne doit pas se faire du haut d’un piédestal comme jadis les colons.
Les normes et les valeurs ne sont pas des acquis, mais doivent être négociées perpétuellement. Maintenant, l’apport de la diaspora serait plus technique. Une fois les normes et valeurs provisoirement définies, la diaspora pourrait aider dans le cadre de leur application en s’inspirant des mécanismes et instruments utilisés dans les pays d’accueil pour faire face aux cas semblables. Au lieu de faire par réflexe des comparaisons stériles qui au final débouchent sur l’apologie du statu quo et au pire au culte de la médiocrité, la diaspora doit apporter des idées pour rendre plus efficace l’application des normes et valeurs de votre société. Si la société s’accorde par exemple sur le fait que la corruption, le népotisme, le détournement des fonds publiques ou le tribalisme ne doivent pas s’ériger en norme, alors il faut combattre ces maux sans relâche et indépendamment de ce qui se passe sous d’autres cieux.
Source :
Tangang Meli Loumgam (11/2015) : Le peuple camerounais face à Boko Haram: Cultiver la victimisation ou s’affirmer en tant qu’acteur ?, in: https://africa-and-science.com/?p=7413.
Tangang Meli Loumgam (2010): Diaspora et gouvernement de Yaoundé: Typologie d’une relation complexe, in: http://tangang.blog.de/2010/05/11/diaspora-et-gouvernement-de-yaounde-typologie-d-une-relation- complexe-8562801/.
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