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Nr. 00265- 9th Jan. 2024 – Weekly Newspaper devoted to Science & Technology in Africa ** Pour la promotion de l'esprit scientifique en Afrique

De la famine en Afrique: et si les conditions climatiques n’expliquaient pas tout?

Il ne se passe d’année sans que la communauté internationale ne soit appelée à faire acte de générosité envers l’Afrique, notamment par l’approvisionnement des populations en aliments. La raison généralement évoquée par les gouvernements des États assistés est la condition climatique peu généreuse. Des fois, est aussi avancé comme cause l’assaut des insectes dont les effets dévastateurs pour les cultures vivrières sont bien connus (le cas des criquets migrateurs par exemple). À l’heure qu’il est, la Somalie, le Kenya, le Niger, etc. sont exposés à une crise sans précédant, une situation qui alimente moult débats dans les métropoles occidentales. Mais voilà qu’au cours d’une conférence tenue à l’université de Montréal la semaine dernière, l’incohérence dans la gouvernance États sinistrés a été mise en avance comme la cause principale du problème.

 

Il est de leur mission de contribuer au perfectionnement de la gouvernance mondiale par la promotion des idéaux des nations unies dans la région de Montréal. C’est dans le cadre de cette mission que l’Association canadienne pour les Nations Unies–Grand Montréal a organisé sur le campus de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) une conférence-débat sur les famines en Afrique le 16 novembre 2011. Étaient invités en qualité d’experts Mme. Florence Rolle, agent principal de liaison de l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) à Washington-DC, et M. Raphaël Yimga Tatchi, expert en développement rural  et en sécurité alimentaire, un homme de terrain ayant travaillé  au Niger (Afrique de l’Ouest). Les deux experts avaient pour mission d’apporter des éléments de réponse à une question centrale : «Est-il possible de vaincre les famines dans le monde?».

Pour aborder efficacement la question, les organisateurs de la rencontre ont l’ingénieuse d’axer les interventions autour de deux points : la géopolitique de la faim dans le monde et particulièrement en Afrique, et l’analyse d’un cas précis de crise humanitaire, en l’occurrence celui du Niger. Mme. Florence Rolle est chargée du premier point. Elle présente l’état de la famine dans le monde à l’heure qu’il est. Elle fait ressortir les zones à haut risque nécessitant intervention urgente. C’est notamment le cas de la bande sahélienne d’Afrique. L’Éthiopie, le Kenya, la Somalie et bien d’autres États africains seraient exposés à une véritable crise humanitaire, si des mesures appropriées ne sont prises dans un délai raisonnable. Mme. Florence Rolle ne parle pas que de cas alarmant. Elle présente aussi des expériences réussies, notamment le cas du Brésil sous la présidence de Lula ou du Ghana sous le gouvernement Kofour, deux États postcoloniaux qui, par des politiques publiques appropriées, ont pu mettre leurs citoyens à l’abri.

Dans l’ensemble, la FAO est demeurée et demeure un acteur de tout premier plan dans la sécurité alimentaire au plan mondial. Le champ de ses interventions est énormément vaste, et Mme. Rolle en présente son étendu. Elle fait également ressortir les grands principes guidant l’action de la FAO auprès des États où elle intervient. Ce qui retient surtout l’attention de l’auditoire, c’est la panoplie des moyens déployés, l’importance des fonds alloués par la FAO et les autres institutions internationales sur le terrain en Afrique. Mais, des allocations en ressources humaines, matérielles et financières qui, en fin de compte, ne représentent qu’«une goute d’eau dans la mer» selon l’expression de Madame Florence Rolle. Une preuve que la véritable instance de lutte contre la famine est le cadre national de des États. Et c’est à ce niveau que l’expertise de M.Raphael Yimga Tatchi trouve toute son importance.

En effet, il a été un témoin privilégié de la crise de la faim qu’a connu le Niger en 2005. Il a également vécu comme bon nombre de citoyens de cet État la très délicate transition politique ouverte au lendemain du coup d’État militaire du 18 Février 2010. Travaillant pour le compte de la coopération allemande puis néerlandaise de développement  pendant 8 ans au total, M. Yimga Tatchi a pu prendre la mesure de la situation, observé l’attitude des divers intervenants dans la gestion de la crise, et a également eu l’occasion d’observer la gestion de l’après crises par les pouvoirs publics locaux. Son exposé est un résumé des incohérences, des lacunes, des manquements dans les mesures gouvernementales de préventions des situations d’urgence alimentaire. Selon le constat de l’expert, loin de mettre en place de véritables mécanismes de prévention de la crise, les gouvernements successifs ont jusqu’ici opté plutôt pour le perfectionnement de moyens de mobilisation des ressources externes, notamment l’aide des organisations humanitaires. Une situation que l’expert déplore, ce d’autant que le Niger dispose des moyens de s’affranchir de l’assistanat. En effet, le fleuve Niger traverse le pays sur plus de 500 km et représente une véritable ressource hydrologique. En plus de ceci, le Niger dispose d’une importante nappe phréatique dont l’exploitation permettrait de révolutionner l’agriculture locale.

Malgré la présence des ressources intérieures ci-dessus évoquées, M. Yimga Tatchi (tout comme Mme. Florence Rolle d’ailleurs) ne sous-estiment pas l’importance des interventions extérieures. Toutefois il insiste sur la portée assez limitée de celle-ci : l’aide extérieure n’organise par le réseau local de formation ou de recyclage du personnel du ministère de l’agriculture. De même, elle n’organise pas le réseau local de distribution des vivres. Certes, grâce à la solidarité internationale, le Niger tout comme tout autre État en développement peut recevoir du matériel agricole ou des semences améliorées. Mais il reviendra au dit État d’organiser la distribution desdites semences. Les interventions des institutions internationales étant généralement ponctuelles, très limitées dans le temps, il revient donc à chaque gouvernement de mettre sur pied des politiques durables de lutte contre la faim, notamment par l’intégration de la sécurité alimentaire comme priorité de politique publique. Sur ce, M. Raphael Yimga Tatchi note un changement radical de discours depuis la prestation de serment du nouveau Président de la République Issoufou Mahamadou le 08 Avril 2011. Dès son entrée en fonction, le chef de l’État nigérien a inauguré son mandat de 5 ans par sa nouvelle politique dans le secteur dit  des 3 N : «Les Nigériens nourrissent les Nigériens».

En attendant de mesurer l’impact de la nouvelle vision politique sur la situation alimentaire du Niger, l’on peut d’ores et déjà constater le lancement effectif de chantiers d’envergure, notamment la construction du barrage hydroagricole dit Programme Kandadji de régénération des écosystèmes et de mise en valeur de la vallée du Nigerdont le montant total des investissements dépasserait 742 Millions d’Euro soient plus de 450 milliards de FCFA. Ce barrage contribuerait substantiellement non seulement à l’amélioration de l’autonomie énergétique du Niger mais aussi et surtout au renforcement de ses capacités de production alimentaire dans la perspective d’une sécurité alimentaire et nutritionnelle durables des populations nigériennes.

Au terme des deux interventions, la phase d’échange avec les participants se transforme carrément en un procès contre l’ONU et ses institutions spécialisées, et ceci à raison. D’ailleurs, Mme.  Rolle est suffisamment honnête quand elle admet l’impact dévastateur qu’ont eu les programmes d’ajustement structurel sur la capacité des gouvernements des États en développement à assurer leur sécurité alimentaire. En effet, en imposant auxdits gouvernements de réduire leurs dépenses publiques dans le secteur de l’agriculture, les mesures dictées par la banque mondiale et les institutions de Bretton Woods s’illustrent comme une des causes fondamentales de la vulnérabilité des États en développement face à la crise alimentaire.

L’ONU et la FAO sont également critiquées pour leur caution aux politiques économiques néolibérales imposées aux États en développement. En libéralisant les marchés, en soumettant les États faibles aux dictats des normes commerciales internationales, il devient presque impossible aux États tels le Niger ou le Tchad de nourrir leurs populations à partir des seuls revenus de leurs exportations. La crise alimentaire de l’année 2008 en est une parfaite illustration. Et comme l’a si bien reconnu la Conférencière, des succès ont été enregistrés dans les États qui ont ’’violé’’ les normes du commerce international, notamment en subventionnant l’agriculture (le cas Brésil) ou en imposant des plafonds au niveau des prix des denrées alimentaires (le cas de la Chine). Les secousses ont donc ravagé les États qui ne disposaient pas de marge de manœuvre, justement à cause des politiques néolibérales imposées par les institutions de Bretton Woods. Rien donc de surprenant que pendant 30 minutes de questions-réponses, toutes les questions de l’auditoire aient été adressées à la représentante Mme. de la FAO. En effet, les participants à la conférence du mercredi 16 Novembre 2011 se rendaient plus à un énième procès des Nations Unies plutôt qu’à une rencontre d’information sur les famines dans le monde. Même si une étudiante africaine adresse la dernière question de la soirée à Monsieur Yimga Tatchi, c’est par pure générosité (comme elle le précise elle-même au moment de prendre la parole), question de ne pas laisser un paneliste quitter le podium sans dire le moindre mot. Et en guise de retour du message au messager, Monsieur Yimga Tatchi n’a pas manqué de remercier le public pour ne l’avoir pas embarrassé.

Alors, que retenir des diverses interventions? Peut-on vaincre les famines dans le monde? Oui, à condition que les États agissent de façon, concertée, coordonnée au plan international; et que les gouvernements fassent de la sécurité alimentaire une priorité de politique publique au plan national.

 

Montréal, le 16 Novembre 2011

Correspondance: Elie Jean

Source de la photo: Le Grand Soir, Bulletin militant d’information alternative, 4 Août 2011, disponible au lien suivant:

http://www.legrandsoir.info/la-famine-en-afrique-de-l-est-vue-par-les-medias-a-grand-public.html#reactions

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