Débat sur l’engagement social et civique des Africains de la Diaspora
Trois faits anecdotiques construiront le socle de la présente réflexion sur l’engagement social et civique des africains de la diaspora. Le premier fait remonte à la récente commémoration du centenaire de l’assassinat de Rudolf Manga Bell. Lors d’un événement organisé à cette occasion en août dernier à Berlin, il y avait à peine une poignée de main de personnes d’origine africaine dans la salle, alors que les européens dominaient l’assistance. Doit-on s’en prendre aux Africains pour leur absence?
Le second fait anecdotique, une fois de plus dans la ville de Berlin, concerne la participation négligeable des Africains lors d’une manifestation de protestation suite au décès d’un citoyen originaire d’Afrique dans des conditions obscures. Les Africains doivent-ils avoir une mauvaise conscience parce que les Européens y étaient plus engagés?
La troisième anecdote fait état de la faible participation des organisations africaines de la diaspora dans le cadre d’un sondage en ligne en vue de l’élaboration de la „Plate-forme de Développement Afrique-Europe“. Seulement 17,6 % des personnes invitées à participer à l’enquête ont répondu. Y a-t-il lieu de blâmer les Africains ?
De manière générale, les Africains eux-mêmes ont le réflexe de répondre à ces trois questions par l’affirmative. Autrement dit, l’engagement social et civique des Africains laisserait à désirer. Ceux qui pensent ainsi poursuivent en disant que « lorsqu’il s’agit de la fête ou du barbecue géant les Africains sont au rendez-vous ». Cette lecture de la réalité est compréhensible surtout lorsqu’elle vient des personnes engagées. Au demeurant, elle est hâtive. La présente réflexion propose une approche nuancée qui permettrait peut-être de voir les choses autrement. Et par conséquent d’éviter ce que l’on peut appeler « l’africanisation » des problèmes ou des faits qui relèvent tout simplement de l’humain.
Concernant la première anecdote, la commémoration de l’assassinat de Manga Bell est sans doute importante et une participation massive des Africains ou à tout le moins des Camerounais aurait été louable. Cela étant, la faible participation des Africains ne saurait être interprétée comme signe de désintérêt. Il s’agit dans un premier temps d’un problème de priorité. La situation économique dans laquelle se trouvent les Africains ne permet pas toujours à ceux qui sont intéressés de s’engager socialement. L’engagement social demande une certaine suffisance ce qui n’est pas le cas de la majorité de la diaspora. Si l’on prête l’attention à la structure sociale des Européens dans la salle lors de la commémoration, on constate au moins deux choses. Ils sont bien âgés et ont une situation sociale confortable. Au regard du fait que la diaspora africaine est jeune et sa situation sociale est moins confortable. Il n’est dont pas surprenant que la présence des Africains à un tel événement soit à peine notable même en considérant d’autres facteurs sociaux comme le niveau d’éducation, le sexe ou le milieu social. Dans un contexte semblable où il s’agirait des Européens ou autres groupes, on aurait probablement le même résultat. Il n’y a donc pas forcement une spécificité africaine. Oui, les Africains de la diaspora semblent être plus présents aux fêtes et barbecues géants qu’aux rencontres sociales ou civiques. Mais n’est-ce pas la même chose chez les autres? Il y a toujours plus de monde aux lieux de loisir, de divertissement qu’ailleurs. En plus, il faut se rappeler que l’industrie du loisir en Europe ne fonctionne pas grâce aux Africains.
Les Africains devraient-ils être mal à l’aise en constatant à l’exemple de la seconde anecdote la faible mobilisation africaine lors d’une manifestation de protestation suite au décès d’un Africain dans les conditions douteuses? Une Européenne présente à cette manifestation peut-elle critiquer le comportement passif des Africains ? Une fois encore, comme dans le paragraphe précèdent, la participation massive des Africains aurait été souhaitable, car c’est pour une bonne cause. Néanmoins, il n’est pas absolument nécessaire en tant qu’Africain de se sentir mal à l’aise et la remarque critique de l’Européenne est elle même problématique. Et pour cause : une manifestation de cette nature doit avoir pour objectif de critiquer un acte que l’on considère injuste ou racial. Il s’agit de militer pour une cause humaine, de s’engager parce qu’un être humain a connu une injustice et non parce qu’il s’agit d’un « Noir ». Cette manifestation a justement lieu pour que la couleur de la peau ne joue plus un rôle dans la société.
Par ailleurs, si déjà il faut opérer avec les appartenances raciales, c’est justement le groupe auquel appartient l’auteur présumé du crime qui doit le plus se mobiliser et non le groupe de la victime. Si l’on considère que le groupe auquel appartient la victime porte une certaine responsabilité civique, cela signifie en revanche que le groupe duquel est issu l’auteur présumé porte aussi une certaine responsabilité du crime. C’est donc d’abord à ce groupe que revient le devoir de mobilisation surtout s’il veut faire valoir une certaine autorité morale ou démocratique. Le racisme est une réalité et ce serait bien si les Africains le combattaient d’avantage. Mais si un groupe doit se sentir mal à l’aise dans cette problématique, ce ne devrait certainement pas être la communauté africaine mais les communautés auxquelles appartiennent les racistes. Sans vouloir sombrer dans la victimisation, le fait est clair, les Africains sont des victimes. Il faut rappeler que la faible mobilisation lors des manifestations n’est pas un signe de manque d’intérêt. La participation aux veillées et les divers soutiens aux familles éprouvées notamment en ce qui concerne le rapatriement des dépouilles mortelles sont des preuves, s’il en fallait, que les Africains peuvent se mobiliser. Ici encore, on peut parler d’un problème de priorité ou de culture politique. Les Africains semblent préférer investir leurs ressources dans l’organisation du deuil que dans la mobilisation civique. S’il y a une spécificité africaine c’est que celle-ci renvoie à la culture politique. Même sur ce plan, il y a des exceptions, les Africains de la diaspora ne sont pas toujours en reste. On peut par exemple citer le cas Oury Jalloh, cet Africain sierra-léonais brûlé vif dans une cellule à Dessau en Allemagne. Ce sont les Africains qui avaient prix le devant de la scène des manifestations.
En somme, le fait que très peu d’Africains prennent part à une manifestation de protestation pour que justice soit rendue suite à un acte raciste, ne devrait pas automatiquement susciter le gène chez les Africains. D’abord parce que ce type de manifestation ne devrait pas être pour la cause d’une race mais pour la cause humaine tout simplement. Ensuite, parce qu’il faut éviter de tomber dans ce piège qui consiste à plus pointer du doigt la victime que le coupable du fait que la victime ou le groupe auquel ce dernier appartient ne se défendrait pas suffisamment. Enfin, même si pour les raisons de culture politique, l’engagement civique parait faible, la mobilisation pour l’organisation du deuil est remarquable et à considérer dans le jugement. Ici aussi, il faut tenir compte des facteurs socio-économiques (âge, revenu, niveau d’éducation, etc…) de la diaspora africaine. Des gens qui doivent se battre au quotidien pour joindre les deux bouts dans le pays d’accueil et qui ont de surcroît des responsabilités dans le pays d’origine, il ne faut pas attendre que la préoccupation prioritaire soit de s’engager civiquement ou socialement. Que l’on ait tendance à utiliser le petit temps libre pour se relaxer semble compréhensible.
Considérant pour finir la troisième anecdote, la faible participation des Africains de la diaspora au sondage sur la construction de la « plate-forme de développement Afrique-Europe » peut paraître alarmante à première vue. Mais en fait, elle ne l’est pas du tout. Évidement, une forte participation serait une bonne nouvelle. Seulement, avec les 17,6 %, les organisations africaines de la diaspora ne font pas d’emblée une mauvaise figure d’autant plus que la participation habituelle à ce genre de sondage se situe entre 10 et 15 %. Ceux qui ne considèrent que le chiffre de 17,6 % critiquent durement les Africains. Avec cette comparaison, la participation des Africains apparaît sous un autre angle.
La présente réflexion ne nie pas l’existence des spécificités africaines liées par exemple à l’histoire, aux traditions ou aux cultures. Cependant, avant de faire recours à ces spécificités pour expliquer le comportement des Africains, il faut d’abord se rassurer qu’il ne s’agit pas avant tout d’un comportement humain normal. La plupart du temps, malheureusement, nous « africanisons » l’universel. L’ « africanisation » c’est-à-dire, pour faire simple, le fait de considérer les comportements humains, que l’on retrouve partout, de typiquement africains une fois que les Africains en sont les auteurs. Ce phénomène n’est pourtant observable que lorsqu’il s’agit des comportements peu appréciables ou déviants. L’ « africanisation » des comportements est donc essentiellement négative. Ce qu’il faut faire c’est d’encourager les gens à s’engager dans la société sans pour autant les blâmer ou vouloir leur infliger une mauvaise conscience. Et pour encourager, les mots à eux seuls ne suffisent pas. Il faut trouver des stimulants pour les attirer. Cela demande de l’imagination, de l’innovation et de la patience. Les autres ne font pas autrement.
Auteur:
Tangang Meli Loumgam, aout 2014
Doctorant en Science Politique
Université de Wützburg
Allemagne
*Une premiere version de cet article avait été publié sur le site www.camer.be
L’engagement civique des Africains de la diaspora: La honte ne tue plus Sur l’importance de la langue maternelle pour Les enfants de la Diaspora
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